On entend par scène ce lieu ambigu d’une présentation ou d’une mise en scène, qui expose des corps et signes sinon lisibles, du moins visibles. Focalisant l’attention, mettant en signes les matières, les scènes rassemblent souvent plusieurs réalités, et déploient une ou plusieurs fictions. Elles se pluralisent de plus en plus, accueillant par exemple de multiples scènes virtuelles, quand elles ne deviennent pas des espaces urbains ou paysagers sans bords.
La scène est aujourd’hui un cadre qui a perdu son évidence, son ancrage spatial dans un décor reconnaissable, une boîte noire ou un white cube. Mais elle n’en reste pas moins le lieu d’une mise en évidence et en rapports, dialoguant avec un public, avec lequel elle partage une durée. Elle reste aussi liée, comme le suggérait Derrida en évoquant un rêve sur la peine de mort, à des scènes de représentation mentale ou émotionnelle, à des débats qui nous précèdent toujours, et à une image ou métonymie concrète de l’espace public.
Dans ces conditions, il est opportun d’interroger les modalités suivant lesquelles les scènes contemporaines des arts déploient des débats, mettent en regard le réel, et (re) présentent une action qui s’arrête ou non à la scène. On s’intéressera également à l’hétérogénéité des pratiques et des gestes des scènes artistiques commentées par Jacques Rancière afin de cerner le régime esthétique.
Questionner la vocation de la scène, c’est plus loin questionner un lieu qui se montre montrant, tendant à sa mise en abyme, à l’interrogation de sa vocation (dé)monstrative. Dans quelle mesure les scènes du XXIe siècle restent-elles des espaces de mise en visibilité ou de composition ? Quelles relations cultivent-elles au voir et au savoir ? Comment interrogent-elles leur geste de monstration et leur propre situation ? Quand optent-elles pour la frontalité dialogique avec les spectateurs, et quand deviennent-elles davantage des espaces de rencontre ?